Lettre d'information sur les pêches n°140 (Janvier-Avril 2013)

Éditorial

La bêche-de-mer, nom donné aux holothuries séchées vendues dans le commerce, est la spécialité du jour inscrite au menu de ce bulletin. Très peu d’initiés savent que ces étranges créatures oisives reposant dans les petits fonds des mers tropicales sont au coeur d’une filière de pêche lucrative tournée vers l’exportation, la deuxième plus rentable du Pacifique Sud, juste derrière le thon. Malheureusement, ces animaux ont subi de plein fouet les effets d’une pêche intensive ces dernières années, au point où plusieurs pays insulaires océaniens figurant parmi les principaux producteurs de bêche-de-mer ont dû interdire leur pêche, parfois pour des périodes allant jusqu’à dix ans, dans l’espoir de voir les stocks se reconstituer.

Dans le premier article de fond proposé, Carleton et ses co-auteurs nous expliquent en quoi « la priorité absolue [en matière de gestion de la ressource en holothuries] doit être de tempérer ou de rompre avec les cycles d’emballement-effondrement qui caractérisent depuis toujours la pêcherie ». Les auteurs démontrent également qu’une exploitation plus prudente (garantissant la production d’une gamme d’espèces à plus forte valeur marchande et de spécimens de plus grande taille) et l’amélioration des techniques de transformation permettraient d’augmenter sensiblement les rendements économiques de la pêche (en les multipliant quasiment par deux) et de rendre caducs les moratoires de pêche. En d’autres termes, année après année, des recettes croissantes seraient injectées dans les économies nationales, profitant particulièrement aux communautés rurales du littoral qui manquent cruellement de liquidités.

Dans le second article de fond, Léopold et ses co-auteurs corroborent les conclusions de Carleton sur la base du modèle de suivi et de cogestion mis en place en Nouvelle-Calédonie pour une pêcherie d’holothuries de sable (dite holothurie « gris »). Ce modèle original fondé sur un quota de captures est piloté par la communauté côtière concernée et les autorités locales, avec les conseils scientifiques de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Entre 2008 et 2012, la biomasse des holothuries de sable a quasiment triplé dans le site d’étude, tandis que le revenu moyen par pêcheur a presque doublé, alors même que le nombre de pêcheurs a augmenté au cours de la période d’étude… C’est sans conteste un succès.

Transférer l’expérience calédonienne et son système de quota dans un autre contexte social et à une échelle géographique plus étendue ne se fera sans doute pas sans difficultés. Mais, parmi les nombreux enseignements que nous livrent les deux articles de ce numéro, il en est un que je n’oublierai pas de si tôt : diminution des captures peut être synonyme d’amélioration notable du rendement économique.

Aymeric Desurmont